La gestion du risque prix après tempête

Les tempêtes concernent une large partie de l’Europe, et notamment la France métropolitaine. Celles survenues en décembre 1999 ont montré que l’ensemble du territoire est exposé, et pas uniquement sa façade atlantique et les côtes de la Manche, fréquemment touchées. Le 26 décembre 1999 la tempête Lothar a durement affecté l’est de la France, une rafale de 184 km/h a été mesurée au Markstein, au cœur du PNR des Ballons des Vosges. Les forêts du PNR ont subi d’importants dégâts avec, par exemple, la destruction de 80% de la forêt communale de Fraize. Les tempêtes sont d’ailleurs les aléas naturels les plus dommageables pour les forêts européennes, avec 53% des dommages occasionnés aux forêts européennes, comme l’illustre la Figure 1 ci-dessous.

Figure 1: dommages totaux aux forêts européennes en million de m3 dus à différents aléas. Source: Gardiner et al. 2011.

Outre Lothar et Martin en 1999, de nombreuses tempêtes ont frappé l’Europe ces dernières décennies avec des dommages très importants, par exemple Gudrun en 2005, Kyrill en 2007 et Klaus en 2009. En Suède, Gudrun a endommagé approximativement 2% du stock de bois sur pied du pays. En France, Klaus a abattu 32% du stock de bois sur pied de pin maritime en Aquitaine sur le million d’hectare existant.

Les conséquences économiques d’une tempête

L’occurrence des tempêtes génère des dommages de différents types : écologiques (perte d’habitat pour la biodiversité, déstockage de carbone, etc), sociales (perte d’aménités, de services récréatifs, etc) et économiques (perte de valeur marchande, de valeur future, coûts de restauration, etc). En 1999, Lothar et Martin ont généré 30 millions de m3 de dommages en Allemagne pour une perte financière totale de €1.4 milliard, et 140 millions de m3 de dommages en France pour un montant total de €4.57 milliards (Caurla et al. 2015). Plus récemment, Klaus a généré un total de 42 millions de m3 de dommages dans le sud-ouest de la France pour une perte comprise entre €1.34 et 1.77 milliard (Lecocq et al. 2009).

D’un point de vue économique, une conséquence importante de l’occurrence d’une tempête est l’accroissement soudain et imprévu de l’offre de bois sur le marché. Conséquence particulière qui est due au fait que la tempête affecte une large surface geographique en même temps, rendant les dommages spatialement corrélés et difficilement assurables. Après Gudrun, les prix moyens des grumes de sciage d’épicéa et de pin en Suède ont chuté pour s’établir à 63% et 86% de ceux de l’année précédant la tempête (Gardiner et al. 2011). Après Klaus, en janvier 2009, 50% des chablis ont souffert d’une dépréciation due à une baisse des prix sur le marché du bois (Nicolas 2009).

Pour tenter de faire face à cette chute de prix, une option classique pour les gouvernements est de faciliter le stockage des bois. Après Lothar et Martin, l’Allemagne a fourni des aides publiques de l’ordre de €15.3 millions pour le transport, le stockage et la replantation (Holecy and Hanewinkel 2006), alors que le gouvernement français a mis en œuvre un programme d’aide sur 10 ans pour un montant total de €920 millions dont l’objectif était de récolter les chablis, défricher et replanter, et créer des zones de stockage pour les bois récoltés (CGAAER 2010). Après Klaus, la France a instauré un plan de compensation de €138.5 millions parmi lesquels 25 millions ont été dédiés à la création d’aires de stockage (Bavard et al. 2013).  

Figure 2: Stockage des bois par aspersion (Source : FCBA “Méthodes de stockage et de préservation de la qualité du bois après la tempête Klaus : comment optimiser le suivi qualitatif ?” http://www.fibaquitaine.fr/documents/1260520087.pdf)

Les travaux recensés par le GIEC montrent qu’il est probable que le changement climatique induise un accroissement du risque associé aux tempêtes, à la fois en fréquence et en intensité, de sorte que le temps de retour entre deux événements devrait se réduire significativement (Della-Marta and Pinto 2009) et les dommages associés devraient augmenter. L’intervention de l’État et les plans de compensations publics nécessaires devraient donc s’accroître dans le futur, se heurtant ainsi aux contraintes budgétaires gouvernementales.

Tester des politiques de soutien alternatives au stockage des bois

Le travail mené dans ce volet de recherche vise à questionner la pertinence d’une subvention publique au stockage pour gérer la baisse de prix suite à l’occurrence d’une tempête. En particulier, les auteurs cherchent à comparer la subvention au stockage avec un autre outil de politique publique, à savoir la fixation d’un prix plancher pour empêcher les prix de tomber trop bas.  

L’efficacité des aires de stockage a été déjà abordée en économie forestière. Costa et Ibanez (2005) fournissent notamment une analyse coût-bénéfice de la politique de stockage mise en place après les tempêtes de 1999 en France. Leur analyse démontre que, du point de vue des propriétaires forestiers et des autorité publiques, le stockage n’était pas profitable. D’un autre côté, Caurla et al. (2015) ont estimé les impacts économiques pour la filière bois du plan de compensation mis en place par le gouvernement français après la tempête Klaus de 2009. Cette étude montre que l’impact du plan global qui couplait stockage sur site et aides aux transport a été bénéfique. Comparativement à une situation « sans plan », la consommation directe a été favorisée et les prix ont été maintenus à des niveaux acceptables.

Néanmoins, la littérature scientifique disponible n’a jamais comparé le stockage avec des politiques directes de maintien du prix. Dans ce volet de recherche d’AFFORBALL, les auteurs comparent deux outils de politiques publique pour gérer le risque de prix suite à l’occurrence d’une tempête : le stockage et la fixation d’un prix plancher. Une des originalités de leur approche est d’adopter deux points de vue différents, celui du propriétaire forestier et celui du planificateur social.

Un modèle calibré sur la tempête Klaus et appliqué au cas du PNRBV

La question de recherche est abordée via un modèle microéconomique théorique qui représente le comportement de ces deux acteurs. Ce modèle analytique fait ensuite l’objet de simulations numériques. Celles-ci permettent de trouver les coupes et le stockage optimal dans une situation de risque de tempête, en prenant en compte la sévérité et différentes hypothèses quant au changement climatique futur. Le modèle qui sera élaboré (le travail est en cours) permettra ensuite, via une calibration plus précise de ses paramètres, de reproduire une maquette des décisions optimales pour les propriétaires forestiers et les négociants de bois. Les auteurs simuleront ensuite des politiques publiques pour aider les propriétaires à faire face à ces changements et, éventuellement, à orienter leurs pratiques d’adaptation face au changement climatique.

Le modèle est calibré à partir des données issues de la tempête Klaus (sud-ouest de la France) qui sont les données les plus récentes et les plus complètes pour estimer un tel modèle. La Figure 3 ci-dessous montre la chute de prix du pin maritime consécutive à la tempête Klaus de 2009. Les données relatives au stockage, nécessaires aux simulations, sont disponibles grâce à l’Observatoire pour l’Économie de la Forêt (OLEF, https://www6.nancy.inrae.fr/lef/Observatoire).

Bien que calibré à partir des données dans le sud-ouest de la France, le modèle proposé aura une portée bien plus générale. Il permettra de représenter les gains/pertes subies par les individus (consommateurs, producteurs) et celles subies par l’État (planificateur social), en lien avec les deux types de politiques testées. Ce type d’étude est très important pour développer des outils efficaces de gestion du risque de prix à l’échelle d’une région, d’un territoire ou d’un grand massif forestier. Concernant le PNRBV, le territoire a été touché par les tempêtes de 1999 et pourrait l’être à nouveau à l’avenir. Le modèle développé offrira ainsi un outil permettant d’identifier les impacts de l’une ou l’autre des politiques à l’échelle du parc.

Les forêts de la région Grand Est étant principalement publiques, certaines variables du modèle développé pour l’Aquitaine deviendront des paramètres. Cela simplifie le modèle et n’empêche en aucun cas une résolution et des simulations dans le cas du PNRBV.

Pour en savoir plus

Contacter les auteurs Marielle Brunette, Julien Jacob et Antoine Leblois à l’adresse: marielle.brunette@inrae.fr

Références

Bavard D., de Lagarde O., Magrum M. (2013). Evaluation de volet mobilisation des bois chablis (plan de solidarité nationale consécutif à la tempête Klaus du 24 janvier 2009). Rapport du CGAAER n°12078. 

Brunette M., Couture S., Laye J. (2015). Optimizing forest management under storm risk with Markov decision process model. Journal of Environmental Economics and Policy 4(2):141-163.

Caurla S., Garcia S., Niedzwiedz A. (2015). Store or export ? An economic evaluation of financial compensation to forest sector after windstorm. The case of Hurricane Klaus. Forest Policy and Economics 61:30-38. 

Costa S., Ibanez L. (2005). Can wood storage be profitable ? French experience after the windstorms in 1999. Journal of Forest Economics 11:161-176.

CGAAER (2010). Bilan du plan national pour la forêt (2000-2009) à la suite des tempêtes de décembre 2009. Rapport du CGAAER n°10089. 

Della-Marta P.M., Pinto J.G. (2009). Statistical uncertainty of changes in winter storms over the North Atlantic and Europe in an ensemble of transient climate simulations. Geophysical Research Letters 36:L14703.

Gardiner B., Blennow K., Carnus J.-M., Fleischer P., Ingemarson F., Landmann G., Lindner M., Marzano M., Nicoll B., Orazio C., Peyron J.-L., Reviron M.-P., Schelhaas M.-J., Schuck A., Spielmann M., Usbeck T. (2011). Destructive storms in European forests – Past and forthcoming impacts. Final Report to European Commission – DG Environment. European Forest Institute – Atlantic European Regional Office – EFIATLANTIC.

Holecy J., Hanewinkel M. (2006). A forest management risk insurance model and its application to coniferous stands in southwest Germany. Forest Policy and Economics 8(2):161-174. 

Lecocq F., Costa S., Drouineau S., Peyron J-L. (2009). Estimation du préjudice monétaire dû à la tempête Klaus pour les propriétaires forestiers. Forêt-Entreprise 189:48-52. 

Nicolas J. (2009). Les conséquences de la tempête du 24 janvier 2009 dans le sud-ouest. Rapport d’information déposé en application de l’article 145 du Règlement par la commission des affaires économiques et présenté par Monsieur Nicolas, Député. http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i1836.asp

Schelhaas M.J., Nabuurs G.J.L., Schuck A. (2003). Natural disturbances in the European forests in the 19th and 20th centuries. Global Change Biology 9:1620-1633.