L’éco-efficience comme indicateur d’évaluation des politiques énergétiques sur un territoire

La production d’énergie issue de la biomasse ligneuse est aujourd’hui considérée comme un élément clé pour assurer la transition vers une société à faible émission de gaz à effet de serre. A l’échelle des territoires, plusieurs programmes stimulent la production et la consommation de bois pour la production de chaleur et d’électricité. Ces programmes s’inscrivent dans des stratégies de développement gagnant-gagnant, c’est-à-dire visant des bénéfices à la fois sur le plan environnemental et sur le plan économique.  Parmi celles-ci, les stratégies favorisant la relocalisation des activités sont souvent considérées comme durables en soi. Au niveau du PNRBV, les communes et leurs groupements sont ainsi incités à intégrer des clauses environnementales et sociales dans leurs appels d’offre pour favoriser l’approvisionnement en circuit court pour leurs besoins en bois-énergie et à créer de petites unités de valorisation tout en encourageant la mutualisation de l’énergie via des réseaux de chaleur (mesure 3.2.2 de la charte). A cheval sur le PNRBV, le pays de la déodatie est par ailleurs lauréat du programme « territoire à énergie positive pour la croissance verte » et s’est à ce titre engagé pour une utilisation de la biomasse bois locale.

La chaufferie bois de la commune de Fraize (1200kW) financée par des fonds ADEME, FEDER, Conseil Général et Conseil Régional (photo: Mairie de Fraize).

Dans un travail préliminaire du VR4 d’AFFORBALL, nous questionnions le choix d’un outil de modélisation permettant d’évaluer à la fois les impacts économiques et environnementaux de telles mesures. Nous concluions alors que le couplage entre Analyse de Cycle de Vie et modèle d’équilibre partiel semblait constituer la famille de couplages la plus prometteuse pour cela. L’objectif du travail présenté ici est précisément de mettre en œuvre un tel modèle et de l’appliquer au cas des politiques régionales de stimulation de la consommation de bois-énergie.

Une question centrale lorsqu’on cherche à évaluer des politiques est celle des indicateurs sur lesquels cette évaluation doit se baser. On peut en effet vouloir évaluer l’efficacité d’une politique sur le gain d’emplois dans une région, sur l’augmentation de la richesse économique locale, sur la réduction d’une pollution locale, sur la préservation de la biodiversité, etc. Si chaque indicateur présente un intérêt, leur multiplicité et, pour certains, leur incommensurabilité, limite rapidement la comparaison relative de scénarios politiques alternatifs. On peut par exemple se demander s’il existe un niveau de subvention optimale pour stimuler le bois-énergie, ou s’il est préférable de mettre en place une stimulation à un niveau régional ou à un niveau national. Les choix politiques alternatifs qui découlent de ces questionnements ont toutes les chances d’affecter différemment les indicateurs cités, laissant le décideur sans critère objectif de décision. Pour pallier cette difficulté, notre objectif est ici de construire un indicateur agrégé d’éco-efficience qui synthétise les impacts économiques et environnementaux. L’éco-efficience, telle que définie par le World Business Council for Sustainable Development (WBCSD), est le ratio entre un indicateur agrégé économique et un indicateur agrégé environnemental. Elle peut être utilisé au niveau micro (entreprises, ménages), au niveau macro (pays) ainsi que pour des échelles intermédiaires, comme outil de soutien à la politique régionale et à la planification territoriale. Plus précisément, nous la définissons ainsi :

Dans notre cas l’indicateur économique est le surplus économique de la filière forêt-bois calculé par le modèle FFSM (modèle bio-économique de la filière forêt-bois française). Le surplus économique est un indicateur largement utilisé en économie. Il représente une quantification des bénéfices que les acteurs retirent de leur participation au marché, donc une forme de quantification de la richesse créée. Les impacts environnementaux potentiels sont les impacts liés à l’utilisation de bois énergie calculés via une Analyse de Cycle de Vie et regroupés en différentes catégories comprenant les impacts sur les écosystèmes, les impacts sur la santé humaine et les impacts sur les ressources. Enfin les impacts évités regroupent les impacts qui n’ont pas lieu du fait de l’utilisation du bois-énergie en substitution à d’autres sources d’énergie (comme les énergies fossiles). Mathématiquement, l’éco-efficience augmente donc avec l’indicateur économique total et diminue avec les impacts environnementaux.

Représentation schématique de la méthodologie mise en œuvre (Schéma: T. Beaussier)

La construction d’un indicateur d’éco-efficience pour une région infranationale prenant en compte les interactions à de multiples échelles – spatiales, temporelles – ainsi que les relations intersectorielles, pose plusieurs défis méthodologiques. En particulier, dans notre cas, le secteur forestier régional est en interaction avec celui des autres régions mais également avec d’autres secteurs (secteur énergies fossiles par exemple), le cadre à développer doit ainsi prendre en compte les interactions spatiales telles que le commerce des produits du bois d’une région à l’autre et les interactions économiques avec d’autres secteurs telles que la concurrence entre les produits du bois et les substituts non ligneux.  Pour tenir compte des effets de substitution, nous avons ainsi étendu les capacités de modélisation de notre modèle économique afin d’inclure les interactions avec les secteurs de l’énergie pour calculer les impacts évités. Nous avons complété le cadre en comptabilisant les flux physiques avec l’environnement lié, en couplant les résultats économiques du modèle avec un cadre d’ ACV. Le modèle est ensuite calibré à l’échelle de la région administrative et nous simulons l’impact dynamique d’une politique de stimulation de la consommation de bois-énergie mise en place en 2030 jusqu’à 2050 dans la région Grand Est.

Résultats de la simulation

Impacts économiques

Afin de comparer l’évolution des prix du bois de chauffage entre les régions, nous affichons dans le tableau ci-dessous le prix perçu par le consommateur de bois énergie dans le Grand-Est (donc avec la subvention) ainsi que dans une région non subventionnée (par exemple la Bourgogne-Franche-Comté). Suite à la mise en place de la subvention au consommateur, le prix perçu du bois de chauffage diminue de 42 % dans le Grand Est en 2050 par rapport un scénario sans subvention. En valeur absolue, cela correspond à une diminution de 14€/m3. À l’inverse, les prix augmentent de 4,7 % en Bourgogne-Franche-Comté en 2050 (soit 1,7 €/m3 en valeur absolue). Ce résultat reflète un effet d’éviction spatiale de la subvention. En effet, la consommation supplémentaire de bois de chauffage dans le Grand Est rend la ressource en bois plus rare pour d’autres usages tels que la pâte à papier et les panneaux. La consommation de ces produits dans le Grand Est dépend donc de plus en plus des importations depuis les autres régions. Dans ces dernières, l’augmentation de la production de pâte à papier et de panneaux, pour les exports vers le Grand Est, induit une concurrence avec le bois énergie ce qui se traduit par une augmentation de son prix.

Logiquement, la subvention au bois-énergie dans le Grand-Est se traduit par un gain de surplus des consommateurs de bois-énergie dans cette région (+26% en 2050 par rapport à un scénario sans subvention). De plus, les effets de la subvention se diffusent sur la partie amont du secteur : le surplus des producteurs augmente sous l’effet combiné de la hausse des prix et de l’augmentation de la production pour alimenter la consommation additionnelle de bois-énergie.

Impacts environnementaux

Les impacts environnementaux directs augmentent avec la quantité de bois-énergie consommée (impacts en positif, matérialisés par les flèches noires sur la figure ci-dessous). L’impact le plus significatif est celui sur la santé humaine, du fait des émissions de particules fines par le bois énergie. D’un autre côté, les impacts évités (en négatif, matérialisés par les flèches rouges sur la figure ci-dessous) augmente également du fait de la substitution des combustibles fossiles par le bois-énergie. Les impacts évités prépondérants sont ceux concernant la catégorie d’impact « ressources » du fait de la « substitution carbone » dont nous parlions en introduction.  Ces résultats soulignent que la prise en compte des impacts évités est déterminante pour l’analyse et modifie drastiquement les conclusions sur les impacts environnementaux totaux.   

Impacts environnementaux en 2050 d’une subvention au bois-énergie dans la région Grand Est mise en place dès 2030 et comparaison avec un scénario sans politique. Désagrégation des impacts en trois catégories (santé humaine, ressources, écosystèmes) en faisant apparaître la contribution de chaque produit bois (fuelW= bois-énergie; pulpW= pâte à papier; hardWsawnW = sciages feuillus; softWSawnW= sciages résineux; pannels = panneaux; transp = transports; plyW = placages; substitution = effet de substitution carbone).

Synthèse: l’éco-efficience

Dans l’ensemble, nous montrons dans ce travail que la subvention augmente l’éco-efficience de la filière bois dans la région où elle est mise en place et pour toutes les catégories d’impact (santé humaine, écosystèmes, ressources). Ceci est illustré sur la figure ci-après où l’ensemble des indicateurs d’éco-efficience dans le Grand Est sont supérieurs dans le scénario avec politique comparativement à un scénario sans politique. Par ailleurs, les effets d’éviction dans les autres régions existent mais ils sont globalement faibles et compensés par les avantages dans la région où la subvention est mise en œuvre. Globalement, nous pouvons donc conclure que cette politique est « éco-efficiente » comparativement à un scénario sans-politique, ce qui constitue un argument pour sa mise en place.

Eco-efficience d’une politique de stimulation du bois-énergie dans la région Grand Est. Mise en évidence de l’effet d’éviction dans une région voisine.

Dans un contexte de promotion de la consommation de produits du bois locaux au niveau du PNRBV, notamment pour la construction, cette méthodologie pourrait être appliquée à d’autres produits. Une réserve possible demeure quant à la mise en œuvre de la substitution de produits pour d’autres marchés, tels que le secteur de la construction, où les substituts du bois pour les produits à forte consommation d’énergie sont nombreux et complexes à modéliser.