Analyser l’effet du prix des bois sur la récolte

La mobilisation des bois locaux est l’un des objectifs inscrits dans la charte du PNRBV (orientation n°2 : « dynamiser les filières locales en valorisant durablement les ressources naturelles du parc »), notamment afin d’accompagner la filière écoconstruction locale.

Pour satisfaire cet objectif, l’évaluation du volume potentiel réalisable (VPR) réalisée dans la première partie du VR1 donne une indication de la ressource considérée comme disponible dans les forêts publiques au niveau du territoire du PNR. Néanmoins cette évaluation laisse de côté les forêts privées et, par ailleurs, une ressource considérée comme disponible n’est pas nécessairement exploitée. Dans cette seconde partie du VR1, l’objectif est d’aller plus loin en analysant les déterminants de l’exploitation et en évaluant le stock disponible à large échelle et à moyen terme tous régimes fonciers confondus.

Peuplement mixte à Munster (Photo: Sylvain Caurla)

Comprendre pourquoi une ressource forestière est exploitée ou pas est une question qui a largement été traitée par les sciences économiques dans le cas des propriétaires forestiers privés non industriels. Les études menées pour répondre à cette question se sont basées sur des enquêtes et identifient plusieurs variables qui influencent la décision de récolte : l’âge et le revenu des propriétaires, la taille de la propriété, l’aversion au risque ou les préférences pour les aménités forestières.

Si ces études sont utiles dans une optique de développement d’outils incitatifs pour l’offre des propriétaires non industriels, elles s’appliquent mal au cas d’une région ou d’un territoire comme le PNRBV où coexistent plusieurs types de propriétaires (publics, privés, collectivités) et plusieurs contextes biophysiques (diversité d’essences objectifs, de densités forestières, de pentes, etc).

Or, à l’échelle d’un territoire comme le PNRBV, connaître les déterminants de la récolte est utile pour deux raisons au moins. Premièrement, cela permet d’anticiper l’impact de certains chocs sur l’économie de la filière, ce qui fait sens dans un contexte d’incertitudes fortes. A titre d’exemple, la crise des scolytes a fait baisser les prix des bois verts de 5 à 20% entre le troisième trimestre 2017 et le troisième trimestre 2019. Il est légitime de se poser la question de l’impact de cette baisse de prix sur les volumes exploités et, donc, sur la dynamique économique globale de la filière. Deuxièmement, connaître les déterminants de la récolte permet d’estimer un « modèle de récolte ». Intégrer ce modèle de récolte à un modèle individuel de croissance des arbres (IBM) permet de projeter l’évolution du stock de bois sur pied sur le territoire, et de tester plusieurs scénarios prospectifs. Ce type de projection est une information précieuse dans un contexte de promotion des filières utilisant des ressources locales. Par exemple, développer une filière écoconstruction locale et durable ne fait sens que si la ressource est suffisamment abondante et disponible sur le long terme.

L’espace Nature Culture dans le village du Haut-du-Chem, modèle d’éco-construction (Photo: PNRBV)

Pour répondre à ces enjeux, l’objectif de ce volet de AFFORBALL est d’estimer un modèle de récolte des bois qui tient compte à la fois de facteurs biophysiques (surface terrière, densité, essence, pente) et du prix des bois. C’est la première fois qu’une étude intégrant des déterminants biophysiques et socio-économiques est réalisée pour une échelle si vaste et cela tient en grande partie à la dimension interdisciplinaire et partenariale du programme PSDR4.

Les auteurs ont utilisé pour cela les données de l’inventaire forestier national français pour ajuster un modèle d’occurrence de récolte au niveau des placettes forestières. 

La méthodologie a été construite sur la base des réflexions avec le PNRBV mais les auteurs ont choisi de réaliser l’étude statistique sur la France entière pour des raisons de disponibilité des données et de robustesse statistique. L’étude utilise l’information reportée sur 40777 placettes de l’inventaire forestier national sur la France entière. Ces placettes ont toutes été revisitées sous 5 ans durant la période 2006-2016. Pour chaque placette, plusieurs informations sont reportées dont la pente, la surface terrière, la densité, l’essence objectif, la présence d’une gestion active et un indicateur d’occurrence de récolte. Par ailleurs la nature du régime foncier de chaque parcelle est déduite du croisement des données de l’IGN et des données de Corine Land Cover. Enfin, les données de prix des bois sont tirées des bases de l’Office National des Forêts pour la période 2006-2016.  A partir de ces informations, les auteurs ont estimé une fonction de probabilité de récolte sur chaque placette en fonction des variables biophysiques et du prix. Les détails techniques de cette estimation sont expliqués dans l’article scientifique publié suite à l’étude.

La probabilité de récolte augmente avec le prix des bois sur pied

 Un premier groupe de résultats montre que la récolte dépend bien du prix, quel que soit le régime foncier (privé ou public). Plus précisément, plus les prix du bois sur pied sont élevés, plus la probabilité que les gestionnaires forestiers prennent la décision de récolter est grande. Inversement, face à la baisse des prix du marché, les gestionnaires préfèrent reporter l’exploitation en attendant que les prix remontent. Cette tendance corrobore les résultats des études économiques portant sur le comportement d’exploitation des propriétaires forestiers privés mais l’étend à l’ensemble des régimes fonciers et pour toute la France. Par ailleurs, les auteurs montrent que l’effet du prix du bois sur pied sur la récolte dépend des espèces cibles. Dit autrement, la récolte de certaines essences est plus sensible au prix que d’autres. En économie cette idée est conceptualisée sous le terme « d’élasticité-prix » de l’offre qui se traduit mathématiquement par le quotient de la variation du volume offert sur la variation de prix.

Stocks de grumes, scierie Mathieu à Xonrupt-Longemer (photo: Sylvain Caurla)

Les auteurs montrent que, à l’échelle de la France, toutes les élasticités sont positives. Autrement dit l’offre de bois est toujours « élastique » au prix. Mais cette élasticité est différente suivant les essences. L’élasticité prix de l’offre de chêne, hêtre, et pin maritime est supérieure à 1 tandis que l’élasticité-prix de l’offre de sapin, épicéa et douglas est autour de 1. Enfin, l’offre de pin sylvestre est inférieure à 1. A bien des égards ce résultat est novateur et important. En effet, aucune étude n’avait réalisé cette estimation pour la France et pour différentes essences. Dans la littérature scientifique, les élasticités-prix sont généralement estimées pour des produits comme la pâte à papier ou les sciages, sans distinguer les essences. Ce résultat est une avancée majeure pour la modélisation du secteur forestier.

Le régime foncier n’impacte pas directement la probabilité de coupe

Un deuxième résultat est que la probabilité de récolte est plus importante dans les parcelles de forêts publiques. Cependant, ce résultat doit être nuancé.  En effet, les parcelles de forêt privée qui font l’objet d’un document d’aménagement (Plan Simple de Gestion) montrent des occurrences de récolte très similaires à celles observées dans les forêts publiques. Plus que le régime foncier, c’est bien la présence d’un document d’aménagement qui semble augmenter la probabilité de récolte.

Probabilité de récolte suivant le régime foncier et la présence de document de gestion (Fortin et al., 2019)

Un effet prépondérant de la pente

Les autres variables biophysiques influencent également la probabilité de récolte, en particulier la pente qui a un effet prépondérant. Par exemple, pour une parcelle située dans la PNRBV avec le hêtre comme espèce cible, la probabilité de récolte sur 5 ans passe de 35% à 12.5% lorsque la pente passe de 0% à 60%. Pour une parcelle avec le sapin comme espèce cible, cette probabilité passe de 36.6% à 16.6% pour la même fourchette de pentes. Ce résultat n’est pas surprenant : plus la pente est élevée, plus les opérations forestières sont difficiles. Néanmoins il s’agit d’un résultat utile dans le cadre de l’étude des arbitrages et synergies entre services écosystémiques. Par exemple, ce résultat implique que la sanctuarisation des forêts en pente forte pour la préservation de la biodiversité présente un coût d’opportunité (lié au renoncement de l’exploitation) plus faible que celui des forêts en pente faible. En croisant ce résultat avec ceux du VR2, il apparaît que l’option synergique la moins coûteuse pour la préservation de la biodiversité est de protéger les forêts en pente de la façade ouest du PNR, où l’indicateur de qualité des habitats est le plus élevé. Or les espaces forestiers protégés et les réserves naturelles sont implantés majoritairement sur les versants Est des Hautes-Vosges et sur le plateau des mille étangs.

Détail de la carte du PNRBV avec mention des réserves naturelles et des espaces forestiers protégés (voir https://www.parc-ballons-vosges.fr/wp-content/uploads/2014/12/PlanParc_juin2012.pdf)

De la probabilité de récolte à l’estimation du stock futur

Si l’analyse de cette probabilité de récolte est déjà utile en soi, les auteurs proposent d’aller plus loin en l’intégrant à un modèle de croissance individuelle des arbres (modèle MATHILDE) afin de simuler à la fois le stock sur pied et l’offre de bois à l’échelle régionale et à moyen terme (2060) pour différentes valeurs des prix des bois.

Volumes sur pied et récoltes projetées de 2015 à 2060 pour des peuplements mixtes de chêne, de hêtre et de charme dans deux régions françaises (Fortin et al., 2019)

Les résultats, présentés ici pour deux régions administratives, montrent une augmentation des volumes récoltés au cours du temps, et donc de l’offre, quel que soit le niveau de prix et pour les deux régions illustrées ici. Cette augmentation est plus prononcée pour des niveaux de prix supérieurs. Les résultats montrent que l’augmentation de cette offre entraine une baisse du volume sur pied en 2060 par rapport à 2015 dans la région Grand Est, même avec un prix stable.

Ce résultat, bien qu’agrégé, pose la question de la durabilité de l’exploitation des ressources forestières pour les nouvelles filières de la bioéconomie ou de l’écoconstruction. Si la biomasse forestière est souvent vue comme une manne providentielle et une ressource largement disponible, ces résultats apportent un élément contre-intuitif à ce débat et montrent que cela n’est pas nécessairement valable pour tous les territoires et à tous les horizons temporels. Le territoire du PNRBV, dans le Grand Est, semble au contraire suivre une autre dynamique, avec une baisse des stocks sur pied à l’horizon 2060. Il s’agit d’un résultat d’autant plus surprenant qu’il n’intègre pas les effets d’évènements climatiques directs ou indirects extrêmes (sécheresses, canicules, invasions de pathogènes, tempêtes, etc) dont on a récemment pu constater le potentiel destructeur. En terme d’appui aux politiques publiques, ce résultat montre que le concept de durabilité, même s’il a été quelque peu délaissé ces dernières années au profit d’autres concept comme la « bioéconomie », doit rester une condition indispensable de toute incitation et de tout aménagement utilisant les ressources locales.

Pour en savoir plus: Fortin, M., Pichancourt, J-B., Melo, L., Colin, A., Caurla, S. (2019) The effect of stumpage prices on large-area forest growth forecasts based on socio-ecological models, Forestry, 92: 339-356. Version working paper.